lundi 4 septembre 2017

"En attendant l'année dernière" - Philip K. Dick

Vous ne savez donc pas que vous n'avez qu'une seule vie, une minuscule petite vie, et qu'elle est devant vous... ? Ni à gauche ni à droite ni derrière - devant ! Vous attendez quoi ? Le retour de l'année dernière ?
En l'an 2055, la Terre est prise dans un conflit inter-espèce triangulaire avec pour ennemis les Reegs et pour alliés les Lilistariens - à moins que ce ne soit l'inverse ? Quoiqu'il en soit, le conflit est biaisé, l'Accord de Paix donne des envies de mort au Secrétaire des Nations Unies, et les Terriens n'ont plus trop le choix : périr des mains de l'ennemi ou se laisser gouverner par des alliés très peu commodes. D'où l'invention de cette nouvelle drogue, le JJ-180, une substance incroyablement puissante et pernicieuse, avec un effet chronagogique - qui perturbe la notion de temps et d'espace. Hallucinogène ou réellement efficace ? En tout cas, une seule prise suffit à détraquer totalement le métabolisme et le foie et à rendre entièrement dépendant, et ceci dans le but d'en déverser dans les réserves d'eau de l'ennemi pour qu'il rende les armes.

Le temps est donc la pierre angulaire de ce roman, tout comme il l'a été dans Ubik ou dans A rebrousse-temps. Un temps désarticulé, dans lequel on recherche à tout prix à satisfaire sa nostalgie du passé en bâtissant des répliques de ville à une époque donnée, mais aussi un temps futur qui permet d'avoir toujours une longueur d'avance sur les autres - dans un contexte où il faut être rusé, avisé, assurer ses arrières et sa notoriété. Ici, grâce à la substance - un autre des thèmes qui aura fasciné l'auteur - il est permis de se déplacer non seulement dans la dimension temps mais également dans des dimensions parallèles (encore un thème cher à Philip K. Dick). Ce qui amène une nouvelle fois cette question : qu'est-ce que la réalité ?
Nous vivons dans une illusion quotidienne. Quand le premier barde a commencé de débiter la première épopée racontant quelque ancienne bataille, l'illusion est entrée dans notre existence. L'Illiade est une "imposture" au même titre que ces robenfants échangeant des timbres devant la porte. Les humains se sont toujours efforcés de retenir le passé, de lui conserver son aspect convaincant. Ça n'a rien de malsain. Sans lui, nous n'avons pas de continuité ; nous ne possédons que l'instant présent. Or, amputé du passé, le présent n'a plus de signification - ou si peu.
L'intrigue est bien amenée, et l'histoire n'a pas vraiment de fin ni de dénouement, étant donné que chaque version de la réalité, chaque dimension est bonne dans son contexte. Seuls ceux qui s'y déplacent finissent par perdre leurs repères. Certaines choses sont plus abouties que d'autres, et certains éléments semblent avoir peu de pertinence, à moins qu'on les replace dans l'oeuvre de l'auteur. En effet, malgré les différences dans l'intrigue et le contexte, Philip K. Dick instaure des univers complexes qui se rejoignent tous plus ou moins dans les détails, dans la singularité, et dans ce sentiment d'évoluer du bon côté de miroir jusqu'à ce que celui-ci se brise en autant de possibilités qu'il y a de morceaux distincts, faisant éclater toute notion de raison, de logique et de linéaire.
Pour la mystérieuse réunion de ce soir, elle était nue jusqu'à la taille, à l'exception de la pointe des seins, qu'elle ne s'était pas à proprement parler maquillée, mais enduite d'une matière vivante et sensible, d'origine martienne. De la sorte, chaque aréole était douée de conscience et réagissait avec vivacité à tous les évènements.

par Mrs.Krobb

En attendant l'année dernière de Philip K. Dick
Littérature américaine (traduction par Michel Deutsch)
J'ai Lu, avril 2015 (original : 1966)
6 euros

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