mercredi 22 juillet 2015

"Mon âme dans un bocal" - Per Christian Jersild

Si l’on ne sait pas à quoi s’attendre en lisant les premières pages de ce roman, il y a de quoi être surpris. Le narrateur, on s’en rend compte très vite, est bien « une âme dans un bocal », puisqu’il s’agit de restes d’un homme, ou plus précisément d’un cerveau relié à un oeil et deux oreilles, plongé dans un bocal et toujours conscient. Plus que conscient, même, son QI atteignant les 600 unités. Le but de cette opération reste flou au début, bien que l’on sache très bien à quel point certains rêveraient de voir leur existence se prolonger - même hors du corps - surtout quand on apprend qu’un cerveau seul peut avoir une durée de vie de 800 ans…

Ce cerveau a tout d’un personnage lambda : personnalité, langage, intelligence, humour, sentiments, souvenirs, émotions… Ce qu’on lui reproche assez vite, d’ailleurs. Puisqu’il est un cerveau, autant qu’il se cantonne uniquement à l’intelligence et aux compétences dites « utiles ». Car il est bien entendu qu’on ne consacre pas autant de temps, de budget, de matériel et de personnel à la seule survie d’un homme, à moins qu’il ne s’agisse d’un génie dont on verrait bien le cerveau sur une étagère de musée ou sous un microscope afin de l’étudier…

Toute une réflexion sur le cerveau humain et la capacité de modifier le corps et l’esprit pour les moduler à convenance, afin surtout de devenir plus performants, plus proches de la machine - machines qui ne tarderont pas d’ailleurs à rendre caduque et trop coûteuse en énergie autant qu’en argent les expériences menées sur l’homme. A l’aube de la grande vague de transhumanisme et de la quête effrénée à l’immortalité, ce texte vieux d’une vingtaine d’années n’a jamais eu l’air aussi jeune.

Avec finesse, humour, subtilité, éloquence, pertinence et un soupçon d’effroi, ce cerveau résume assez bien les dérives de l’humanité. La collection Cactus est décidément une bonne pioche (voire Le lait, les amphètes et Alby la Famine), on regrettera donc son extinction. L’année 1989 aura été un bon cru, dans tous les domaines…

par Mrs.Krobb

Mon âme dans un bocal de Per Christian Jersild
Littérature suédoise (traduction par Pascale Balcon)
Actes Sud (Cactus), octobre 1989
15,50 euros

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